Samedi 16.6.01 à Neuchâtel, Ouest donneur ouvre de 1T, Nord intervient par 1SA et je risque 2T, Landik, les deux majeures quatrièmes compétitives, pour 2C en Ouest, contrat final et top plein (juste fait, mais un flanc attentif prend deux chutes), la salle entière jouant 1SA en nord pour 120 (Sud, avec 7H, aurait dû entreprendre quelque chose).
Nous jouons le Landik ainsi: sur l'intervention adverse par 1SA, 2T est un petit appel aux majeures si l'ouverture était en mineure et tout le reste est en Texas, y compris 2T si l'ouverture était majeure, 2SA étant un «Cue-bid» fort et bien fitté (dès 11DHS, là où le Contre ne convient pas, par exemple en raison du fit majeur neuvième) et Contre naturel punitif (9H+).
Au début nous avons vécu un double oubli simultané amusant: mon partenaire ouvre de 1K et, sur l'intervention à 1SA, j'aimerais le soutenir à Carreau. J'oublie la convention et, au lieu de passer ou mettre 3T (2T serait pour les majeures), je dis 2K. Il oublie aussi et passe! Ouf!
A peine eus-je posé mon carton (2K) que je réalisai l'erreur. L'adversaire n'en sut rien. Cela pose-t-il un problème d'arbitrage ou d'éthique? Non, à la lumière de ce rappel des règles en matière de réparation, soit de score ajusté.
Omettre d'informer l'adversaire sur le système d'enchères constitue un acte illicite (le Code parle d'«infraction aux Lois») susceptible d'engendrer réparation.
En matière d'explications sur le système d'enchères, un acte illicite est toujours imputable à faute, bien entendu si l'auteur a agi par dol, c'est-à-dire volontairement et sciemment, mais également s'il a agi par négligence, parce qu'un joueur de Bridge est censé connaître son système (et le Code tout entier!), de sorte qu'une négligence est toujours coupable. L'on dit que la faute est présumée et que la présomption est irréfragable (cela est sans doute toujours vrai dès qu'il s'agit de réparer un dommage subi par un adversaire non fautif, mais plus en matière disciplinaire, là où une sanction vient frapper une erreur de comportement: l'auteur pourra tenter de faire valoir une négligence non coupable).
L'acte illicite ne suffit pas pour prononcer un score ajusté. Encore faut-il que le lésé ait subi un dommage (actuel, personnel et concret: le lésé aurait pu marquer davantage de points-match dans la compétition en cause; davantage de fiches en partie libre). Parfois un tel dommage sera inexistant parce que la paire victime de l'acte illicite n'aurait de toute façon pas pu obtenir un meilleur résultat.
Un tel dommage serait-il présent (la paire victime de l'acte illicite aurait pu appeler un contrat plus rémunérateur ou gagner davantage de plis à la carte), encore doit-il se trouver dans un rapport de causalité adéquate avec l'acte illicite; soit que l'acte illicite fût la cause adéquate du dommage. Cette notion est difficile à définir à la forme. Elle se définit matériellement comme ceci: «constitue la cause adéquate du dommage tout fait qui, selon le cours ordinaire des choses et l'expérience de la vie, était propre à entraîner un effet du genre de celui qui s'est produit, en sorte que la survenance de ce résultat paraît de façon générale favorisée par le fait en question». Prenons un exemple: je vous frappe et vous devez vous rendre à l'hôpital à bicyclette et mourez en chemin d'un accident de la circulation. Le coup état un acte illicite, imputable à ma faute parce que j'ai agi par dol (volontairement) et, sans ce coup, vous n'auriez pas pris le chemin de l'hôpital, partant pas subi l'accident. Le dommage existe (la mort et ses conséquences) l'acte causal est illicite (sauf justification spéciale, frapper quelqu'un est contraire à l'ordre juridique suisse), il est bien la cause naturelle (bien que parmi d'autres) de l'accident (puisque, sans lui, pas d'accident), mais il apparaît clairement, en référence à la définition ci-dessus, qu'il n'est pas la cause adéquate de l'accident de la circulation, partant de la mort (la cause adéquate sera probablement la violation d'une règle de circulation ou une défectuosité technique d'un véhicule).
On le voit, les conditions de la marque ajustée ne sont pas simples:
- Acte illicite («infraction aux Lois»; faute présumée)
- Dommage (actuel, personnel et concret)
- Lien de causalité adéquate entre le premier et le second
Ce n'est pas tout. Il faut encore que, après l'acte causal, la paire non fautive n'ait pas, de son côté, commis une erreur technique de jeu si lourde qu'elle expliquerait maintenant à elle seule le mauvais coup. Par exemple vous êtes victime d'une désinformation (acte illicite) qui vous conduit (lien de causalité adéquate) à jouer un très mauvais 3SA quand 4C est à 100% et sans problème. Vous chutez (dommage) et demandez à l'arbitre (il vous «incombe» de prendre des conclusions, soit d'expliquer à l'arbitre en quoi l'acte illicite vous a conduit au dommage et en quoi celui-ci consiste) de rectifier à 4C égal. Si l'arbitre s'aperçoit que, à 3SA, vous étiez, grâce à une distribution favorable, à 430 et n'avez chuté qu'ensuite d'une grossière erreur de carte, il refusera de rectifier votre score. L'on dit, dans ce cas, que votre erreur de carte est venue interrompre le lien de causalité: il y a eu rupture du lien de causalité. L'on peut ainsi ajouter une quatrième condition à la réparation (il s'agit en réalité d'un élément de la troisième):
- Absence de rupture du lien de causalité (grossière erreur de jeu subséquente de la victime)
(La jurisprudence et la doctrine en matière de responsabilité civile dégagent encore les notions de «causalité dépassée», «causalité dépassante» et «causalité outrepassante», qui visent ces situations où plusieurs événements sans connexité se disputent la causalité.)
En l'espèce, l'on ne voit pas en quoi l'omission aurait pu être la cause adéquate de quelconque dommage puisque l'explication correcte aurait fait croire à une main différente, tandis que l'omission a rétabli la vérité. Il n'y a pas plus de dommage que de lien de causalité.
Voir, pour d'autres exemples, les donnes 78, 80, 81 et 117.
Ajoutons encore ceci.
Seul le dommage direct est réparable. Un dommage seulement indirect, c'est-à-dire résultant du dommage éprouvé par un tiers, ne l'est pas. Ainsi en Patton, un acte illicite cause un dommage à une autre équipe, dans un autre match, mais l'équipe lésée, par ignorance, renonce à la réparation et ce dommage vous nuit parce que l'équipe fautive se trouve, au classement final, un poil devant vous. Vous n'y pouvez rien!
Quid en Paires, où l'acte illicite se déroule à la table voisine, est commis par une paire Nord-Sud, comme vous, et lui procure le top plein? Vous subissez un dommage directe parce que l'acte illicite vous coûte directement deux points-match (vous n'obtenez que le sous-top, par exemple). Toutes les autres conditions de la réparation étant réalisées, pouvez-vous appeler l'arbitre pour qu'il ajuste le score indûment obtenu par les Nord-Sud voisins? A ma connaissance non, pour le motif suivant.
Pour obtenir réparation, ensuite d'un acte illicite, soit de la violation d'une norme juridique (ou d'une «règle», les termes sont synonymes, ici d'une «Loi» du Code), il faut se trouver dans le cercle des personnes protégées par la norme en question. C'est la condition de la «relation d'illicéité». La norme a ainsi un but protecteur dont l'étendue est limitée. Pour connaître cette étendue, il faut se référer au but de la norme ou à l'intention du législateur (l'on donne l'exemple de cette banque qui demandait réparation à la Commission fédérale des banques en invoquant qu'elle avait été mal contrôlée: le relation d'illicéité fut niée parce que le contrôle a pour but de protéger les tiers, non la banque elle-même). Il me semble que les règles techniques du Code n'entendent protéger que l'adversaire direct, la paire qui joue contre le fautif, non les autres paires du tounoi de la même orientation. Mais peut-être la jurisprudence en la matière évoluera-t-elle...
Il conviendrait donc d'ajouter encore deux conditions à la réparation:
- Dommage direct (en réalité une condition du «dommage», donc incluse dans la troisième condition)
- Relation d'illicéité (en réalité un aspect de l'«acte illicite», donc incluse dans la première condition)
(Ces trois conditions additionnelles [relation d'illicéité / absence de rupture du lien de causalité / dommage direct] ne sont finalement que des aspects des trois conditions de base [acte illicite / lien de causalité adéquate / dommage].)
mh
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