Vxx
AVxx
V109x
AV
109xx
Rxx
RDxx
Rx
Donne numéro 81

Vulnérabilité : Tous
Type de tournoi : Tournoi en Cross-IMP


 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 V x x

 10 9 x x

 A V x x

 R x x

 V 10 9 x

 R D x x

 A V

 R x

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


Entraînement national, 1998 (sic). La séquence:

WE
11
1SA2SA
33SA
fin 

3T est alerté des deux côtés du paravent, mais deux explications contradictoires et opposées sont données, l'une étant totalement erronée, l'autre partiellement exacte d'après les explications subséquentes des joueurs (après rafraîchissement de leur mémoire).

Cela n'empêche pas le flanc d'entamer Trèfle et de continuer la couleur après l'As de Carreau. Ouest prie, ferme les yeux et tente l'impasse Cœur pour... juste fait, la Dame étant placée troisième!

Nord-Sud est une paire suisse internationale (qui défend actuellement les couleurs suisses à Tenerife!). Elle appelle l'arbitre, se plaint que ses adversaires se soient trompés dans leurs enchères, l'aient désinformée et cependant réussi une manche horrible et injuste et marqué injustement un paquet d'IMPs. L'arbitre maintient. Elle appelle.

L'acte illicite est patent (deux explications contradictoires et opposées impliquent que l'une d'elles est contraire aux Lois 20 et 21), mais où est le dommage? Pour le nier, il suffit de constater que le contrat de 3SA, fût-il mauvais, gagne toujours: il n'y a pas de flanc! L'appel est rejeté. Au surplus l'appelante elle-même l'admettait puisqu'elle s'est trouvée incapable de prendre des conclusions: le CLA n'a pas su ce qu'elle voulait (3SA-3? 2SA-2? 2SA+1? 2SA=? 3K=? 0 IMPs? bien qu'interpellée, elle a même positivement refusé d'y procéder! un appel sans conclusions est-il recevable?).

Dût-on considérer un dommage qu'il faudrait alors en nier le lien de causalité: l'on ne voit pas en quoi renseigner imparfaitement l'adversaire sur son système place favorablement la Dame de cœur troisième à droite! ni en quoi ce comportement aurait pu convaincre ses auteurs d'appeler 3SA! (Est-Ouest ont certes appelé 3SA en raison d'un imparfaite maîtrise de leur système, mais cela n'est pas illicite!)

L'appel est téméraire: un bon joueur doit savoir que, sans dommage, pas de réparation! Cependant mon collègue et moi n'avons su rallier le troisième membre du CLA (pourtant l'un des meilleurs joueurs par Paires du pays!...) à notre point de vue, si bien que l'appel ne fut rejeté qu'à deux voix contre une. Dans ces conditions, pas de témérité! Ce collègue trouvait le résultat injuste et estimait inadmissible qu'une paire de la valeur de la paire fautive ne pût pas informer correctement, si bien que la question d'une sanction disciplinaire fut évoquée, mais bien vite écartée (à deux contre un!): si l'on ne peut même plus se tromper... déjà qu'hésiter est un crime! (v. D 79 et 80).

De si bons joueurs pareillement imperméables aux principes de base interpellent: d'où viennent-ils, ces principes (acte illicite / lien de causalité adéquate / dommage) développés aux donnes 76, 78 et 80?

On l'a vu (D 80), ils trouvent une base claire à la Loi 16 litt. A ch. 2 in fine, tandis que la Loi 12 litt. A ch. 1 parle d'«indemnisation» et donne des précisions assez parlantes à la litt. C ch. 2 (v. D 78).

Ils sont anciens: lex Aquilia, 296 av. J.C., qui contient déjà tous les éléments:

«ut qui servum servamve alienum alienamve quadrupedem vel pecudem injuria occiderit, quanti id in eo anno plurimi fuit, tantum aes dare domino damnas esto»

(Au Digeste, 9, 2, 2 pr. et 1)

(Celui qui, de manière illicite, a tué [au moyen d'une lame] un esclave ou un quadrupède d'autrui, qu'il soit condamné à donner au propriétaire la somme d'argent...)
D'autres texte étendront la règle à d'autres situations (dommages à d'autres choses, dommages coporels, purement pécuniaires, etc., dommage causé par plusieurs ou à plusieurs, solidarité, droits de l'héritier, etc.), mais l'on voit déjà ceci:
  • Le caractère illicite de l'acte se niche dans l'ablatif injuria. Il s'agit d'un ablatif de moyen ou de manière et la traduction donnée ci-dessus convient: «de manière illicite». Cela implique que le même acte pourrait être exécuté de manière licite!
  • Le dommage est la mort de l'esclave de la victime ou du quadrupède de son troupeau (pecus).
  • La causalité, s'agissant de tuer au moyen d'une lame, est naturelle, directe et adéquate; elle lie l'acte, et son caractère illicite, avec le dommage («injuria» à côté de «occiderit»; l'on a envie d'ajouter «damnum injuria»: «dommage causé de manière illicite»; notamment encore que l'acte pourrait être licite et qu'alors la question de la causalité ne se poserait pas!).
  • La faute (aspect du comportement de l'auteur) est présente pour le même motif (si l'on tue avec une lame, c'est qu'on le fait exprès ou que l'on ne prend pas les précautions qu'aurait prises un bonuspaterfamilias dans les mêmes circonstances).
  • L'auteur est «damnatus à payer tant» (damnus esto...), ce qui signifie qu'il se trouve «lié» envers sa victime, «grevé d'une obligation» et non plus, comme auparavant, par exemple sous la loi du Talion, la victime de quelque vengeance (et même plus automatiquement redevable d'une somme d'argent: la sanction est une obligation, non plus une somme d'argent).
  • En raison de la faute, le critère qui désigne celui qui est «damnatus» est pénal, non économique. C'est nécessaire dès lors que l'obligation de réparer naît du fait dommageable et non plus d'un déséquilibre patrimonial: l'auteur du dommage n'en est pas toujours enrichi. Mais l'étendue de la réparation est maintenant économique (bien que pas totalement).
  • Désormais une obligation peut prendre sa source non seulement dans l'accord préalable des parties (contrat), mais encore dans la loi.

(Tout cela, en -296, est très novateur. Le droit romain est un «case law» et les textes suivants se référeront tous à la lex Aquilia: «la lex Aquilia s'applique également à ceci, à cela, à celui qui, comme ceci,...» etc. Cette pérennité s'explique par la haute technicité de ce texte. Les premières tentatives de «codification» du droit n'interviendront qu'au IIIe siècle après J.C., la première réalisation achevée étant, pour l'Occident, le Breviarum Alarici, le Bréviaire, dû à l'initiative du roi wisigoth Alaric II, promulgué en 506, et, pour l'Orient, le fameux Digeste, promulgué en 533, que l'on doit à l'empereur Justinien, recueil non seulement des textes normatifs, c'est-à-dire contraignants, en vigueur, mais encore compilation de la jurisprudence classique, c'est-à-dire des textes des juristes classiques; eu égard à son caractère très complet, le Digeste peut être considéré comme une œuvre majeure. C'est grâce à cette compilation qu'autant de textes nous sont parvenus.)

La jurisprudence classique, alors laïque, développera l'ensemble au cours du IIe siècle av. J.C. (comme elle développera complétement et parfaitement la dernière source des obligations, l'enrichissement illégitime) et l'art. 41 du code des obligation d'Eugen Huber (1912, Livre Ve du code civil suisse) sera le fruit de ce développement prétorien de la loi aquilienne:
«Celui qui cause, d'une manière illicite, un dommage à autrui, soit intentionnellement, soit par négligence ou imprudence, est tenu de le réparer.»
Tout y est: le caractère illicite de l'acte, le dommage, le lien de causalité entre le premier et le deuxième, la faute («...soit intentionnellement, soit par négligence ou imprudence...») et le lien obligationnel («...est tenu de...»). L'étendue et les modes de réparation sont traités dans d'autres articles.

Observez cependant le Code Napoléon de Pothier, soit l'art. 1382 du code civil français encore en vigueur (et l'art. 1130 du code civil d'Alexis-Marie Piaget de la République et Canton de Neuchâtel, 1852, copie conforme), qui dispose:
«Tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé, à le réparer.»
Ce texte est inappliquable. Il lui manque quelque chose d'absolument fondamental, l'«injuria»!

Notre professeur de droit romain nous donnait son exemple: lorsqu'il a postulé à la faculté, il ne fut pas le seul, mais c'est lui qui fut choisi. Cela a engendré chez les candidats éconduits un dommage considérable, du moins chez ceux qui n'ont pas trouvé un si bon job. C'est bien à cause de sa postulation qu'un autre n'a pas été choisi. Et sa postulation fut fautive. Il s'est même agi de la faute la plus grave qui soit, le dol, puisqu'il avait fait exprès de postuler! Mais, évidemment, son acte n'était pas injuria, mais licite!

C'est la jurisprudence qui devra compléter le texte l'art. 1382 CCF.

Le premier texte complet, à cet égard, sera l'art. 1401 du code civil hollandais de 1838:
«Elke onregtmatige daad, waardoor aan een ander schade wordt toegebragt, stelt dengenen door wiens schuld die schade veroorzaakt is in de verpligting om dezelve te vergoeden.»

Tout acte injuste1 [contraire au droit], par lequel un dommage est causé à une autre personne, fait naître, pour celui par la faute duquel cela est arrivé, l'obligation de réparer.
1 Remarquons que l'injustice, ou l'injuria, est correctement attribuée au fait ou à l'acte, comme la faute, alors que nous aurions plutôt tendance à attribuer l'injustice au dommage (ou au résultat, à l'instar de notre collègue du CLA!).

1838! Les Romains avaient pourtant tout compris depuis fort longtemps!

mh

Accueil BridgeBack